Carnet de l'aide à la jeunesse
(2006) Réforme du droit de la jeunesse
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Introduction
Même si l'esprit protectionnel est maintenu dans la réforme de la loi de 65, le texte prévoyait des orientations dont l'esprit n'était pas toujours facile à identifier ainsi que des mesures nouvelles qui soulevaient quelques craintes parmi les professionnels du secteur qui privilégient la prévention et le travail éducatif au détriment de la répression et de la sanction.
Ce Carnet, publié en septembre 2006, souhaitait donc réaliser :
- un coup de projecteur sur les changements apportés par cette réforme ;
- un coup de sonde parmi les acteurs de terrain ;
- un coup d'oeil sur quelques-unes de ces mesures emblématiques qui nous viennent parfois des antipodes...
On participe à un système de maltraitance institutionnelle !
En matière de prise en charge des mineurs déliquants, le juge de la jeunesse est un personnage clé
Entretien avec Thomas Henrion, Juge dela jeunesse à Namur
La réforme de la loi de 65 relative à la protection de la jeunesse a été votée le 13 juin 2006 dernier, qu'est-ce que ça va changer concrètement pour les juges de la jeunesse ?
Cette réforme a mis noir sur blanc un ensemble de pratiques qui existaient déjà. La loi de 65, pour moi, est une très bonne loi. Il n'y avait pas vraiment besoin de la modifier sauf sur deux ou trois petits points.
Et quelles sont selon vous les modifications nécessaires apportées par la réforme ?
Un cadre légal a été donné à certaines pratiques prétoriennes du parquet comme la médiation. C'est bien. Le juge de la jeunesse peut dorénavant aussi appliquer aux mineurs la loi de 90 sur les malades mentaux. C'est bien aussi, mais si on n'a pas de places dans des établissements psychiatriques spécialisés, ça ne va pas changer grand chose dans la prise en charge des adolescents. Enfin, la procédure de dessaisissement est un petit peu accélérée mais personnellement sur 4 ans, je ne me suis dessaisi qu'une seule fois. Ce n'est pas ce qui m'intéresse le plus dans le métier. En outre, cette dernière mesure pose un problème de cohérence. D'un côté on nous demande de nous dessaisir plus facilement et plus rapidement pour envoyer des jeunes dans des centres fermés et d'un autre côté, dans cette même réforme de la loi, on nous demande de nous occuper des jeunes jusque l'âge de 23 ans. Donc on diminue la majorité pénale à 16 ans, mais on l'augmente à 23 ans ! Mais d'une façon générale, je ne pense pas que cette réforme va modifier essentiellement nos pratiques si elle n'est pas accompagnée de moyens.
Vous parlez de moyens, vous pensez que la réforme est sous financée ?
Je ne suis pas très doué en chiffres, j'attends de voir. J'ai envie de dire que, pour moi, l'urgence n'était pas de voter une nouvelle loi, mais c'était, comme on le demande depuis plus de 25 ans, d'enfin financer correctement l'aide à la jeunesse. Je suis abasourdi de voir que l'on rend des décisions qui ne sont pas exécutées, faute de moyens. Donc on passe parfois pour des guignols ! Faute de moyens également, on participe à un système de maltraitance institutionnelle où des jeunes en danger sont « trinsballés » d'institutions en institutions, pas toujours adaptées à leur cas. Ces institutions sont en plus parfois situées fort loin du domicile familial alors que l'on nous demande de travailler le rapprochement avec la famille. On est obligé de bricoler et de prendre des décisions qui ne vont pas dans l'intérêt du jeune.
Les décisions prises par le juge de la jeunesse et son rôle dans la prise en charge des mineurs délinquants, il en a été beaucoup question dans la presse ces derniers temps avec la sortie très médiatisée, de l'assassin présumé de Joe Van Holsbeeck...
Écoutez, les politiciens ont fait preuve d'un populisme scandaleux. Si je voulais aller dans le sens populiste sécuritaire je dirais que le vrai scandale ce n'est pas une sortie autorisée, mais ce sont tous les jeunes braqueurs que l'on libère faute de places dans les institutions. Il y a parfois des services de police qui travaillent pendant des semaines sur des faits graves commis par des mineurs. Ils déploient des moyens extraordinaires, hélicoptères etc., cela coûte des millions à la collectivité et quand on ordonne un placement en institution, ne fût-ce que pour éviter tout risque de récidive et travailler la problématique, le jeune ressort libre de notre bureau parce qu'il n'y a pas de place. Et pour revenir aux sorties, franchement, elles existent depuis des années. J'ai été stupéfait que la ministre en charge de l'aide à la jeunesse ait découvert après deux ans de fonction qu'elles existaient. Elles font partie du processus de réinsertion. Maintenant le match de football, ce n'est peut-être pas ce qu'il y a de plus éducatif mais il n'y a pas uniquement l'activité qui est importante, il y a simplement le fait de tester le jeune en dehors de l'IPPJ. Il s'agit de le préparer à son retour dans la société.
Le système des IPPJ, c'est un bon système selon vous ?
Ce n'est pas le seul système. Pour moi, les prestations éducatives ou philanthropiques c'est un des meilleurs systèmes. C'est la seule chose qui fonctionne très bien et que la nouvelle loi va nous bousiller ! Pourquoi ? Parce qu'on ne va plus pouvoir ordonner plus de 30 heures de prestations dans la phase d'investigation. C'est ridicule, c'est le nombre d'heures minimum que j'ordonne habituellement. Maintenant avec la réforme, pour tous les cas où j'estime devoir donner plus de trente heures, je devrai communiquer le dossier au parquet, et vu l'encombrement du parquet et du tribunal de la jeunesse, neuf mois plus tard, peut-être, le jeune comparaîtra devant le tribunal. En plus, la comparution implique une procédure particulièrement lourde, stigmatisante, parce qu'elle se déroule en audience publique et avec à la clé un casier judiciaire. Cela n'a pas beaucoup de sens. D'autant plus que si le jeune est en aveu et que le dossier est relativement complet, c'est tout bénéfice pour lui d'effectuer rapidement ses heures. Il paie la dette qu'il a vis-à-vis de la société et il fait quelque chose d'assez enrichissant.
Avec l'affaire Joe Van Holsbeeck, on parle beaucoup des mineurs délinquants et des mesures pour les jeunes délinquants, les jeunes en danger ne sont pas un peu oubliés ?
On s'en occupe mais les SAJ et les SPJ sont complètement débordés et c'est vrai que vous avez des situations catastrophiques où un vendredi soir on ramasse une jeune fille de 13 ans en rue, parce qu'elle est battue, maltraitrée par ses parents. On essaie tout simplement de lui trouver un toit et on ne trouve rien. Autre cas de figure, on rend un jugement de placement en dehors du milieu familial, c'est une décision rare mais qui parfois doit être rendue. Le service de protection judicaire qui est chargé de mettre à exécution notre jugement met parfois 6 mois pour trouver une place et en attendant le jeune reste en famille alors que nous avons estimé qu'il y était en danger ! On peut encore donner de multiples exemples, mais cet exemple-ci pour moi est le plus grave parce que cette maltraitance institutionnelle crée des mineurs délinquants.
50 heures pour devenir de « bons parents »
Le stage parental : une nouveauté de la réforme de la loi de 65
Une mesure controversée par les acteurs de terrain
Le stage parental, pour les parents qui éprouveraient un « désintérêt caractérisé » à l'égard de la délinquance de leur enfant, c'est bientôt la réalité. Ce stage devrait être mis sur pied dès le 1er avril 2007. Il pourrait être ordonné par le juge de la jeunesse ou bien proposé par le procureur du Roi. Mais qui organiserait ce stage parental ? Combien de temps durerait-il ? En quoi consisterait-il exactement ? Ca reste encore assez flou. Le plan pour l'aide à la jeunesse de la ministre Catherine Fonck fait bien état de quelques informations. Ce seraient les SPEP qui seraient amenés à prendre en charge ce stage, à raison de 50h pour chaque stage... mais du côté des différents acteurs de terrain, on dit que « rien n'est vraiment précisé ».
Au delà des détails techniquesLe stage parental ne pose pas que des questions de mise en place et d'organisation mais aussi des questions de fond. Premièrement, qu'est-ce qu'un désintérêt caractérisé de la part des parents ? Il s'agirait en réalité comme l'explique Sarah d'Hondt, conseillère au cabinet de la Ministre de la Justice Laurette Onkelinx « de sanctionner les parents qui ne sont pas conscients de leurs responsabilités ou qui font preuve de mauvaise volonté en la matière ».
Du côté des acteurs de terrain, on confirme qu'il existe de très rares cas de désintérêt des parents par rapport à leur enfant, comme l'explique Frédéric Launoy, directeur du spep Pep's à Huy : « Quand leur enfant a fait une bêtise, la réaction de certains parents consiste à dire qu'ils ne veulent plus rien faire pour eux. C'est très rare dans l'arrondissement judiciaire de Huy, mais ça arrive. ».
Le choix délibéré de ne pas s'occuper de son enfant délinquant reste donc une exception et la cause du désintérêt peut avoir une autre explication. Pour le substitut du procureur du Roi de Huy, Didier David, « il se peut très bien que les problèmes des parents contribuent à leur désintérêt pour le mineur, mais qu'ils n'aient pas les ressources pour avoir une autre attitude que cette attitude de désintérêt ». Les problèmes évoqués par ce magistrat sont des problèmes d'ordre sociaux ou économiques par exemple. Nombre de familles vivent en effet des situations de plus en plus précaires. « Et même si ils suivaient un stage parental, explique Didier David, dans leurs situations, la priorité ne serait pas d'appliquer les principes éducatifs que l'on va leur inculquer mais plutôt d'arriver à remplir leur frigo et à payer leur loyer. »
En outre, toujours selon Didier David : « Ce n'est pas donner des principes éducatifs sur le tard qu'il faudrait mais c'est permettre aux parents de revaloriser leur image. Dans l'arrondissement de Huy, on se rend compte que les parents ont très souvent perdu confiance en eux. Ils ne sont plus capables de servir de modèle au mineur. » Et la revalorisation des parents, bien que le cabinet Onkelinx s'en défende, risque bien d'être mise à mal. Envoyer les parents en stage, n'est-ce pas un nouveau coup dur pour eux ?
Le Conseil communautaire de l'aide à la jeunesse (CCAJ) a en tout cas rendu un avis négatif sur cette mesure, comme l'explique Bernard Devos, vice président du CCAJ : « Le CCAJ propose le retrait de cette mesure dans le sens où elle fait figure de pacotille. Un stage de 50h ne peut pas être très efficace, et en plus, il implique une surresponsabilisation et une stigmatisation des parents. ».
On peut également se poser la question de la décrédibilisation des parents aux yeux de leur enfant.
Sanction en perspectiveSi ce stage parental n'est pas suivi par les parents à qui ce sera ordonné, le tribunal de la jeunesse peut les condamner à un emprisonnement de 1 à 7 jours et/ou à une amende. Cette sanction donne donc un caractère obligatoire à ce stage. Pour Didier David : « Obliger quelqu'un à suivre un stage parental c'est un peu comme obliger quelqu'un à suivre une thérapie. Il y a peu de chances que ça marche. Ca devrait être une démarche volontaire. »
Si d'ici sa mise en application, le stage parental garde la forme qui lui a été donnée dans le plan pour l'Aide à la jeunesse en Communauté française, deux grands volets composeraient ce stage : un volet individuel et un volet collectif. Ce dernier réunirait les parents afin qu'ils partagent leurs expériences parentales. Cette pratique va à l'encontre du code de déontologie de l'aide à la jeunesse qui prévoit un respect du secret professionnel, notamment en ce qui concerne la diffusion d'informations à propos des bénéficiaires de l'aide...
Tout ce débat sur le stage parental pose aussi simplement la question de savoir ce que c'est « être de bons parents ». Si une recette miracle existait en 50h, ne serait-elle pas déjà connue... et les services existants pouvant venir en aide aux parents ne l'auraient-ils pas déjà appliquée ?
Epinglé – l'exemple français ?A l'instar de la Ministre de la Justice Laurette Onkelinx, le Ministre français de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, compte bien rendre la mesure du stage parental obligatoire. Bien avant que cela n'entre en vigueur, il a déjà quelques adeptes dans – heureusement – peu de parquets. Le climat sécuritaire et la tendance à responsabiliser les parents à outrance par rapport aux faits de leurs enfants a le vent en poupe chez nos voisins. Aucun débat de fond sur les causes réelles de cette délinquance, sur une jeunesse parquée dans des cités, sur la précarisation de certaines familles ne semble être envisagé par le Ministre de l'Intérieur. Cela fait peur, tout comme les propos de cette magistrate, Maître Lazaire, qui a instauré le stage parental à Toulon. Rappelons que de 1998 à 2002, la ville de Toulon était aux mains d'un maire d'extrême droite, et que peut-être, ce stage parental a été pensé dans un climat peu enclin à la modération.
Le Parquet de Toulon : précurseur du stage parentalInterview
Quelques parquets français comme ceux de Toulon, Poitiers ou Senlis ont mis en place la mesure du stage parental. Il ne s'agit jusqu'à ce jour que d'initiatives locales, sans aucune obligation légale. Mais il semble que Nicolas Sarkozy veuille que cette mesure devienne nationale. Maître Lazaire, en octobre 2002, à l'époque Vice procureur de la République à Toulon, fut l'instigatrice au parquet de Toulon du stage parental. Actuellement attachée au parquet de Marseille, Maître Lazaire explique les motivations qui l'ont conduite à mettre en place le stage parental. Entretien : Amélie Jamar – 26 septembre 2006.
Comment vous est venue l'idée d'instaurer le stage parental à Toulon ?
J'avais 10 ans de 'parquetier mineur' derrière moi. Au bout d'un certain temps, on réfléchit à différentes problématiques. On n'est plus dans l'urgence. J'ai donc trouvé que ça valait le coup de travailler sur des parents particulièrement défaillants.
Comment réagissent les parents à l'annonce du stage ?
Les parents, vous savez, ils sont toujours opposés quand la justice se mêle des choses qui soit disant ne sont pas son affaire. Pour eux, on ne devrait pas toucher à l'éducation, c'est quelque chose qui se passe à l'intérieur de la maison. Quand ils voient qu'il y a un article du code pénal qui permet de les poursuivre s'ils n'ont pas éduqué leurs enfants correctement, ça les fait bondir. Et puis ils s'y font. C'est juste un moment d'émoi à passer.
Vous pointez du doigt les parents en tant que responsables de la délinquance de leurs enfants mais n'y a-t-il pas une part de responsabilité du côté de la société avec une précarisation de plus en plus grande par exemple ?
S'il fallait en plus condamner la société, le code pénal serait très gros ! Il y a peut-être tout à refaire. On peut déjà commencer par l'éducation des mineurs. Elle est un peu loupée. Donc ça veut dire que les parents ont un peu échoué dans leurs missions. L'enfant est devenu roi. Il fait ce qu'il veut, il mène son monde. Ce n'est pas au mineur à mener son monde ! L'éducation nationale a échoué aussi et après, les jeunes arrivent devant la justice. On est le dernier maillon et il faudrait qu'on ait la solution miracle. On ne l'a pas.
Ce n'est pas avant la justice que des services devraient aider les parents en difficulté ?
Oui mais moi je suis au niveau de la justice, alors ce qu'il se fait avant ou pas, je n'y peux rien. C'est peut-être même à la confection des enfants qu'il faudrait arriver... Vous allez dire que je suis dans la lignée de Sarkozy, mais je ne voudrais pas qu'on me taxe non plus d'avoir un discours politique.
Si on en revient au stage parental, vous n'avez pas peur qu'il décrédibilise les parents aux yeux des enfants ?
Non. C'est une responsabilité à chacun des niveaux. Je crois qu'il ne faut pas prendre les mineurs pour plus naïfs qu'ils ne sont. Si ils savent que leurs parents peuvent être responsables de certains actes, ça va les responsabiliser doublement. Certains mineurs peuvent réagir différemment si on leur dit
« attention, si tu continues dans cette voie, et que tes parents ne t'incitent pas à changer, c'est eux qui vont être responsables ». Certains jeunes se sont définitivement calmés parce qu'ils préfèrent répondre eux-mêmes de leurs actes. Ils ont quand même leur honneur. Il ne faut pas toucher à leurs parents.
Vous avez rencontré une opposition à l'instauration du stage parental ?
Oui parce que certains pensaient que c'était une commande du gouvernement. Alors que je peux vous assurer qu'un magistrat même au parquet, n'est pas si dépendant que ça !
Et aujourd'hui, le stage parental est toujours d'application à Toulon ?
Il n'y a plus de volonté des éducateurs de travailler sur un tel projet. Si j'ai pu le mettre en place à Toulon, c'est parce qu'il y avait des bonnes volontés à un moment donné. Et puis après, elles tombent à l'eau parce qu'un directeur s'en va etc. Les éducateurs ne veulent pas travailler avec les parents. Pour eux, leur mission doit se centrer sur les mineurs. Alors que si les mineurs sont dans l'état dans lequel ils sont, c'est essentiellement dû à l'éducation que donnent les parents qui a été défaillante à un moment donné. Je trouve ça assez stupide de raisonner uniquement sur le mineur. J'ai l'impression qu'on travaille à l'envers. Il vaudrait mieux d'abord travailler sur les parents et ensuite seulement sur les mineurs.
La réparation via la concertation
Place centrale pour la victime et responsabilisation du jeune :
deux principes que l'on trouve dans la concertation réparatrice en groupe.En avril 2007, si tout va bien, la concertation restauratrice en groupe va faire son apparition. Cette mesure est assez mal connue en Communauté française mais elle a déjà été utilisée en Communauté flamande sous forme de projet pilote entre 2001 et 2003. A l'initiative de ce projet pilote : le centre de recherche sur la délinquance juvenile de la KUL. Inspirés par l'expérience Néo-zélandaise des « family group conferencing », les chercheurs ont voulu adapter cette pratique en Belgique.
Le principe de cette concertation est assez simple. Ordonnée par le juge de la jeunesse, elle réunit le jeune ayant commis une infraction et la victime, ainsi que leurs entourages respectifs, un policier et un modérateur. Les avocats des deux parties et le service social du tribunal peuvent également être présents. Cette concertation n'aura lieu qu'à deux conditions : si le jeune reconnaît le fait qui lui est reproché et si la victime accepte cette concertation. Le but de cette concertation : voir comment l'événement a été vécu par les protagonistes, pointer les problèmes qui en résultent, et trouver un moyen de réparer la faute.
DéroulementLors de la concertation, après la lecture du fait commis par le policier, la parole est donnée en premier à la victime. La victime explique la façon dont elle a vécu, dont elle a ressenti le délit. « C'est très important que la victime parle en premier, explique Inge Vanfraechem, chercheuse au centre de recherche sur la délinquance juvénile de la KUL, cela donne une place centrale à la victime ce qui diffère de la plupart des mesures concernant les jeunes où ces derniers sont mis en avant et la victime est quelque peu oubliée. » Une fois le récit de la victime terminé, viennent les explications du jeune sur l'acte commis. Après cette première étape, le jeune et son entourage se retirent et décident de ce que le jeune va faire pour réparer son acte. Une fois cette discussion close, le jeune soumet à la victime ses propositions. Selon Inge Vanfraechem : « Ce moment est très important pour le jeune. Suite à la rencontre avec la victime, le jeune prend vraiment conscience de ce qu'il lui a fait subir. Il émet alors un réel souhait de réparer ses fautes. ». Une déclaration d'intention est rédigée et sera soumise au juge de la jeunesse afin qu'il l'entérine avec amendements ou non. Trois grands volets constituent cette déclaration d'intentions : la réparation pour la victime (payer par exemple les dommages que l'assurance ne prend pas en charge, écrire une lettre à la victime, etc.), la réparation pour la communauté (travaux d'intérêt général, etc.) et enfin tout ce que le jeune s'engage à faire comme suivi thérapeutique, résolution par rapport à la fréquentation scolaire, etc. Le modérateur s'assure de l'application du premier volet, une autre service du deuxième et le service social du tribunal du dernier volet.
Un plus pour la justice restaurativeCertains diront peut-être que le principe de la rencontre entre victime et jeune ayant commis un méfait n'est pas neuf. La médiation existait déjà. Oui, mais cette dernière se faisait pour des delits mineurs et était ordonnée par le Parquet et non par le Juge de la jeunesse. Avec la concertation restauratrice, ce sont des jeunes ayant commis des faits relativement graves qui sont visés. Par « faits graves » il faut entendre par exemple vol à main armée, agression, ou encore car jacking.
Autre différence par rapport à la médiation : la présence de l'entourage du jeune et de la victime. Un entourage qui pour la victime permet de la soutenir dans ces moments peu évidents à revivre. En ce qui concerne le jeune, la présence de la famille, d'un professeur ou d'autres personnes de référence pour le jeune joue un grand rôle. Cela responsabilise le mineur face à ses proches et en cas de non respect de ses engagements, l'entourage est là pour les lui rappeler au quotidien. Quant à la présence d'un policier, elle atteste de la non contestation des faits qui ont été commis mais c'est aussi un moyen d'assurer à la victime le bon déroulement de la rencontre. Dans le projet pilote, l'avocat des deux parties pouvait être présent lors de la discussion. Dans la pratique dès 2007, la Ministre de la Justice, Laurette Onkelinx aimerait supprimer cette présence. Pour Inge Vanfraechem, cette présence de l'avocat a pourtant tout son intérêt. « Comme ce sont des cas graves et parfois compliqués, et que le jeune va être amené à faire beaucoup de choses pour « réparer » l'acte commis, l'avocat est nécessaire pour estimer la charge des réparations : trop ou pas assez. En outre, en pratique, il a été constaté que les avocats prennent peu la parole et n'entravent donc en rien le processus de dialogue entre la victime et le jeune. »
Ajoutons à cela que la présence de ces différents protagonistes donnerait une dynamique à la concertation que la médiation n'a pas. Une dynamique bénéfique pour le jeune et pour la victime.
EvaluationAprès trois ans de pratique en Flandre, l'efficacité de ce projet pilote a bien entendu été évaluée. En ce qui concerne, par exemple, la récidive, deux groupes de mineurs délinquants ont été confrontés : un ayant participé à une concertation restauratrice, l'autre non. La récidive est de 22% pour les premiers et 58% pour les seconds. Malgré un bon taux de réussite, Inge Vanfraechem est consciente des limites de cette mesure : « La réussite de la concertation dépend d'une multitude d'éléments. Il est certain qu'un jeune bien entouré par ses proches retirera beaucoup de la concertation restauratrice, par contre pour certains jeunes ayant de mauvaises habitudes depuis parfois 15 ans, 3 heures de concertation ne suffisent pas toujours. »
C'est pourquoi elle aimerait que, comme en Nouvelle Zélande, à chaque nouvelle infraction commise par le mineur, le juge soit obligé de proposer la concertation restauratrice : « Sinon, on va proposer cette mesure principalement aux jeunes ayant commis un méfait pour la première fois. Et donc à nouveau on va exclure des jeunes qui sont déjà exclus de partout. ».
Si cette mesure ne fonctionne pas toujours du premier coup, des exemples en Nouvelle Zélande prouvent que le déclic chez un jeune se fait parfois à la quatrième concertation par exemple. En Belgique donc, les juges verraient plutôt cette mesure restaurative comme une seule et unique chance donnée au jeune de se racheter avant des mesures que les juges estiment plus sévères. Certains semblent en outre estimer, toujours selon Inge Van Fraechem, que la sanction pour un mineur d'être envoyé dans un centre fermé comme celui de Mol est plus stricte que la concertation restauratrice en groupe. Inge Vanfraechem ne partage pas cet avis : « L'explication que le jeune, devant ses proches, doit donner à la victime ainsi que les solutions à trouver pour réparer ses fautes est très difficile pour le jeune. Et rien n'empêche en plus que dans la proposition de réparation du jeune un séjour en IPPJ soit prévu. ».
On notera également que si rien n'oblige le juge à proposer systématiquement la concertation restauratrice en groupe au mineur délinquant, cette mesure ne sera utilisée que selon le bon vouloir des juges, ce que Inge Vanfraechem déplore.